Si la conception populaire veut qu’elle soit la plus vieille méthode d’apprentissage, ces deux dernières décennies les trottoirs de Brazzaville ont connu un développement exponentiel, ils attirent de nombreux jeunes pour étudier dans la rue et poussent les sociologues à s’interroger sur ces espaces d’ombre.
En effet, aujourd’hui réviser les leçons dans la rue est devenu une méthode non négligeable pour certains collégiens et lycéens. A la maison, rien ne marche, le bruit intempestif des casseroles, le manque d’électricité ou le délestage empêchent de se concentrer…et obligent à aller à la recherche d’un abri. Ce sont les causes qui poussent à se retirer du domicile pour espérer trouver la lumière ou le silence ailleurs.
A Brazzaville, au nord de la capitale, dans le quartier de Ouenzé, au cimetière public de la Tiemé, il est 17 heures… les petites ombres sont sans crainte, les tombes écroulées, détruites par les tempêtes ou par l’érosion ; auprès d’elles les jeunes s’installent pour le besoin de lecture. Chaque étudiant choisit un coin où s’assoir, ou bien marche de façon à étudier débout. On peut croire à une bibliothèque éphémère, sauf qu’il est écrit : «Strictement interdit d’enterrer les vivants, sous peine d’amende ». Revy, jeune lycéenne ne croit pas à l’enseigne : « une illusion, c’est au mort qu’on s’adresse».
Ici, les klaxons de véhicules se font moins entendre, à l’exception de coups de sifflets des jeunes qu’on peut voir jouer au foot, et qui courent derrière la balle…d’autres bruits, ceux des avions qui survolent la ville pour atterrir à l’aéroport de Maya Maya. Les odeurs des alentours, des poubelles, n’empêchent pas les trotteurs de s’arrêter et d’ouvrir leurs classeurs pour prendre un cahier, un livre… pour l’amour de l’avenir. On les voit marcher tout au long de la route, doucement, sérieux, comme au rythme de caméléons. Un malade mental: « je me croyais vraiment fou… mais il en existe de plus fous que moi » crie-t-il en rigolant, à écouter les étudiants avec lesquels il s’est familiarisé, qui répètent les cours en “pérroquant”.
Ce cimetière, depuis qu’on a arrêté d’enterrer les corps il y a plus de 10 ans, s’est transformé en un véritable terrain mis à la portée de tous. Pour les écoles privées des alentours, qui manquent d’espace, il sert aux élèves pour pratiquer les enseignements physiques. Pour les jeunes lycéens et collégiens de la cité, explique Romaric : « je ne sais pas ce que le pays nous réserve les années à venir… il vaut mieux étudier, avoir ses diplômes que ne rien faire. Même si on continue de nous mettre sur le banc de touche, ça pourra changer un jour ».
Pendant ce temps, la pluie menace, agite le ciel, ceux qui ne sont pas protégés courent, en faisant attention à ne pas mouiller les documents. Ceux vivants dans le périmètre ne s’inquiètent pas, comme Daudelvia, qui plaisante : « il ne va pas pleuvoir, cet endroit est sacré, vous voyez même les nuages se déplacent, il a dû pleuvoir quelque part, les morts auront pitié de nous… » avant de répliquer de façon ahurie: « de toute façon, je ne suis qu’à quelques mètres de la maison… la lecture c’est un choix pour la vie, il faut s’y mettre pour ne pas le regretter », puis elle range ses affaires en attendant de regagner le domicile, et elle observe les nuages défiler.
Plus loin, un évangéliste, prêche, bible en main, crie à tue-tête aux signes de délivrance comme s’il allait ressusciter les morts: « au nom du Seigneur… vous êtes libérés, Dieu vous aime! Dieu vous aime!…dites Amen! ». Une assiette tourne, comme dans une église. Ici, c’est le contraire, les esprits aiment le silence.
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